La maison jaune
13 août 2007
Avec « La maison jaune » , le réalisateur Amor Hakkar se retrouve en compétition internationale au festival de Locarno. Pour lui, c’est « miraculeux ». Interview.
Après beaucoup d’années « sans », le réalisateur propose un film humble autour du deuil, de la douleur et de l’espoir.
Humilité et densité viennent à l’esprit en rencontrant Amor Hakkar. Ce Français de Besançon aux racines algériennes – les montagnes des Aurès – vit un petit miracle à Locarno après une traversée du désert cinématographique de plus de dix ans.
Avec son film « La maison jaune », il concourt pour le léopard d’or. « Mon film est un tout petit film porté à bout de bras, indique le réalisateur. C’est pourquoi Locarno, c’est fabuleux. Ce festival permet aux petits films de vivre ! »
Humilité, densité et sobriété de la mise en scène qualifient très bien ce film. Cette histoire universelle est celle de la perte d’un fils et de la difficulté à surmonter la douleur.
Joué par le réalisateur et des habitants de sa région d’origine, le film montre un père paysan qui, aidé de ses filles, cherche à consoler sa femme murée dans sa souffrance.
Dans ce paysage qui n’a jamais vu de cinéaste, Amor Hakkar filme la douleur mais aussi la pudeur et la bienveillance. La vie va finir par reprendre le dessus, grâce à l’image, justement.
swissinfo : Votre film évoque le deuil, la douleur, la difficulté d’en sortir. Qu’est-ce qui vous a amené sur ce projet ?
Amor Hakkar : J’ai été sensibilisé à ce sujet par le fait d’avoir accompagné mon père – paix à son âme. Mon père est décédé en France et a souhaité être enterré en Algérie.
J’ai été conduit à le raccompagner jusqu’à son petit cimetière dans le douar dont il était originaire, dans la montagne des Aurès, à 2000 mètres d’altitude à peu près, en Algérie.
A travers ce périple, j’ai ressenti beaucoup de choses. Et des années après, j’ai eu envie d’écrire un sujet pour retranscrire les émotions que j’avais ressenties et vécues.
swissinfo : Qu’avez-vous voulu transmettre à travers ce film ?
A.H. : Ce qui m’intéresse et qui me préoccupe le plus, peut-être, c’est la compréhension entre les êtres humains. C’est l’amour, qu’on ne voit pas toujours, dont on peut peut-être penser qu’il a disparu, mais qui existe encore.
J’avais envie, en tous les cas dans ce film-là, de parler d’amour. D’amour, de respect, plus globalement d’humanité. Je crois qu’à travers ce film, j’avais envie de faire un break. Et de dire, juste le temps d’un film : on peut se regarder, on peut se parler, sans avoir d’a priori. On peut s’aider, se soutenir, se tolérer. On peut aussi, un peu, s’aimer.
swissinfo : Ce film est aussi pour vous un retour vers vos racines . Qu’avez-vous ressenti à retrouver cette région que vous ne connaissiez pas ?
A.H. : Les couleurs, les odeurs, des sonorités, des lumières qui, probablement, étaient ancrées en moi depuis des générations. Mais d’un seul coup, j’ai ressenti tout ça et j’ai compris combien elles étaient vitales pour mon équilibre personnel.
Cette partie ignorée de moi-même, je l’ai redécouverte. Après ça, j’ai pu me sentir mieux. Et entier.
swissinfo : Vous avez tourné avec des acteurs non-professionnels, en berbère, dans un pays relativement fermé. Quelles ont été les difficultés rencontrées ? A.H. : Etrangement, pas trop de difficultés d’ordre administratif. Bien sûr, obtenir les autorisations, c’est long. Localement, personne ne prend de décisions. Même si on a une autorisation nationale du ministère de la santé, le directeur de l’hôpital refuse de l’appliquer en l’absence d’un fax reçu cinq minutes avant notre arrivée.
La difficulté, en Algérie, c’est que les initiatives individuelles sont gommées. Plus personne ne prend de risque ou d’initiative. Mais d’un point de vue administratif, on arrive à s’en sortir.
Autre difficulté, les gens ne sont pas toujours sensibilisés au cinéma. Un des grands problèmes a été pour nous de filmer les femmes.
Pour la scène du cimetière, où je ne souhaitais pas spécialement des femmes voilées, les deux figurantes qui accompagnent la mère du jeune garçon portent le voile. C’était la condition ou elles ne tournaient pas.
swissinfo : A la fin, la mère découvre son fils en vidéo et esquisse un sourire. Est-ce aussi une allégorie pour dire votre foi en l’image et le cinéma ?
A.H. : Oui, bien sûr. Pour finir le film, et aussi pour dire que l’espoir doit toujours demeurer. A plusieurs niveaux. Tout simplement d’abord par rapport à mon propre cheminement, où j’ai cru que je ne ferais plus jamais de films. J’ai eu la chance d’en faire un autre et d’être présent aujourd’hui à Locarno, ce qui n’est pas rien.
L’espoir ensuite par rapport… peut-être pas au bonheur, mais à l’idée qu’au plus profond des Aurès, un espoir peut naître. C’est pour moi un message très important. Je continue à croire en l’être humain, même si ce n’est pas toujours évident.
swissinfo : En conférence de presse, l’émotion vous a submergé, vous avez fondu en larmes. Pour quelle raison ?
A.H. : Je ne suis pas seul dans ce cas-là, mais c’est miraculeux pour nous d’être ici. D’un seul coup, les choses sont concrètes. Tout à l’heure, je ne rêvais plus.
Je ne peux m’empêcher de repenser à notre situation d’il y a encore quelques mois. Etre ici aujourd’hui, ça veut dire aussi qu’on a peut-être eu raison de nous battre pour ce film.
Interview swissinfo : Pierre-François Besson à Locarno, 08/08/2007
(1) « La maison jaune », durée 82 min, production : SarahFilms
Amor Hakkar nait en 1958 dans les Aurès mais quitte la région à six mois avant que sa famille ne s’installe à Besançon. Après des études scientifiques, il se jette dans le cinéma et l’écriture. Il réalise un court puis un long métrage en 1992, « Sale temps pour un voyou ». Comme écrivain, Amor Hakkar a en particulier signé « La cité des fausses notes » en 2001, ouvrage qui a obtenu le prix du livre Marcel Aymé.
Le palmarès du film ’La Maison Jaune »
Prix du Jury des Jeunes
Le Jury lui a décerné le troisième prix (2 000 CHF), offert par le Département Cantonal de l’Instruction, de la Culture et du Sport du canton Tessin
Prix du Jury œcuménique :
Le Jury lui a décerné son prix (20 000 CHF) offert par les Églises Reformées Évangélistes et Catholiques Romaines de Suisse à utiliser pour la distribution du film en Suisse.
Prix Don Quijote
Le Jury lui a décerné son prix Don Quijote offert par la Fédération Internationale des Ciné-Clubs (FICC/IFFS)
Le Léopard d’Or (90 000 CHF) est attribue au japonais Masahiro Kobayashi pour son film Ai No Yokan